L’hôtel de Gaiffier d’Hestroy
Visiter le TreM.a – Musée des Arts anciens du Namurois, c’est aussi découvrir l’un des joyaux classés du patrimoine architectural namurois : l’hôtel de Gaiffier d’Hestroy et de Tamison. Un hôtel de maître du 18e siècle, bâti entre une cour d’honneur pavée et un jardin, et légué à la Province de Namur par Mme Paul d’Haese, fille du gouverneur Paul de Gaiffier d’Hestroy, en 1950.
Pour accéder à la bâtisse, construit sur deux niveaux en brique et en pierre bleue, les visiteurs doivent aujourd’hui passer par un remarquable mur de clôture de style Régence, ajouté en 1768 par l’architecte et géomètre namurois François-Joseph Beaulieu. Percé d’un imposant portail mouluré d’époque, cet avant-corps influe, depuis plus de deux siècles, sur l’urbanisme de la rue de Fer par ses magnifiques stucs, reconnus patrimoine exceptionnel de Wallonie en 2003.
Mais, pousser la porte de cet hôtel, remanié et embelli depuis le 16e siècle, c’est avant tout plonger au cœur de l’histoire de ses propriétaires ancestraux : les Gaiffier et les Tamison. Une longue histoire familiale, dont le bâtiment conserve aujourd’hui encore de multiples traces, et qui a abouti, le 11 avril 1964, à l’ouverture du Musée des Arts anciens du Namurois.
La famille Gaiffier
Le nom Gaiffier est présent, à Namur, depuis le 13e siècle au moins. Cette famille d’origine modeste s’est enrichie, au cours de son histoire, grâce à l’industrie et au commerce du drap. Elle accède aux fonctions publiques dès le 15e siècle et compte, parmi ses descendants, de nombreux magistrats, édiles communaux (échevins, bourgmestres, …) et édiles provinciaux (conseillers, gouverneur, …).
La famille est anoblie, pour la première fois, en 1635, par l’empereur Ferdinand II d’Autriche. Elle est ensuite admise, sous Pierre-Paul de Gaiffier, à l’état noble du comté de Namur en 1713. Et enfin, accédant aux titres de baron et de vicomte, les de Gaiffier se scindent officiellement en deux branches au 19e siècle : une branche principale (de Gaiffier d’Émeville) et une branche cadette (de Gaiffier d’Hestroy).
La famille Tamison
Connus à Namur depuis le 15e siècle, les Tamison appartiennent à une vieille famille patricienne et bourgeoise de la région. Anoblis au 16e siècle, ils s’unissent, à plusieurs reprises, par le mariage à la famille Gaiffier.
C’est notamment le cas des trisaïeuls de Charles-Eugène de Tamison (propriétaire de l’hôtel à la charnière des 17e et 18e siècles) : Jean Tamison († 1594) et Isabeau Gaiffier († 1632) dont la pierre tombale reposait autrefois dans l’ancienne collégiale Notre-Dame de Namur et dont un fragment est aujourd’hui conservé au rez-de-chaussée du TreM.a – Musée des Arts anciens du Namurois.
Les propriétaires
…-1596 | Guillaume Gaiffier († 1611) x Catherine de Cloquier († 1613) | Héritage |
1596-1604 | Jean d’Yve († 1603) x Catherine de Masnuy († 1629) | Achat |
1604 | Ordre des Capucins de Namur | Achat |
1604-1639 | Philippe Tamison (1615) x Anne de Milairy († 1639) | Achat |
1639–1689 | Albert (de) Tamison († 1657) x Marie-Constance de Blyleven († 1689) | Héritage |
1689-1761 | Charles-Eugène de Tamison († 1717) x Agnès-Catherine de Damme de Nieuwhoven († 1761) | Héritage |
1761-1779 | Pierre-Joseph Baudouin de Gaiffier de Tamison († 1779) x Marie-Joseph de Maucour († 1759) | Héritage |
1779-1823 | Pierre-Joseph-Baudouin de Gaiffier († 1823) x Marie de la Hamaide († 1792) | Héritage |
1823-1865 | Marie-Thérèse-Guillemine de Gaiffier († 1865) x Anatole Lallemant de Lévignen († 1828) | Héritage |
1865–1906 | Jules-Félix Lallemant de Lévignen († 1892) x Caroline de Sélys-Longchamps († 1906) | Héritage |
1906-1940 | Marie-Marguerite de Lévignen († 1939) x Paul de Gaiffier d’Hestroy († 1940) | Héritage |
1940-1950 | Ghislaine de Gaiffier d’Hestroy († 1950) x Paul d’Haese († 1967) | Héritage |
1950-… | Province de Namur | Donation |
Histoire chronologique du bâtiment
1596
Guillaume Gaiffier († 1611), échevin de Namur, cède sa propriété en Cuvirue (l’actuelle rue de Fer), à Jean d’Yve († 1603), seigneur de Neuville et bailli d’Entre-Meuse-et-Arche. Celle-ci comporte une maison tout en longueur, située en bord de rue, un large jardin et un édicule à l’usage inconnu.
1604
Ne pouvant payer les charges de la maison et les dettes de son mari, la veuve de Jean d’Yve, Catherine de Masnuy († 1629), est obligée de vendre la demeure aux Capucins de Namur, le 10 juin 1604.
Le 11 juin 1604, l’ordre religieux rétrocède la propriété à Philippe Tamison († 1615), échevin de Namur et petit-fils d’Anne Gaiffier († 1586) et Jean Tamison († 1555), tout en se réservant une grande partie du jardin pour la construction de son couvent (l’actuel Institut Saint-Louis Namur).
La maison sera ensuite transmise, au cours du 17e siècle, à Albert Tamison († 1657), Charles-Eugène de Tamison († 1717) ainsi qu’à leurs veuves respectives.
1623
Albert Tamison, échevin de Namur, agrandit le terrain de la maison par l’achat du jardin voisin, appartenant à Jean de Godines.
1730-1747
Namur connait de grandes transformations urbaines, caractérisées notamment par la multiplication d’hôtels particuliers (ou de maître), signes de richesse pour les nobles et les magistrats et symbole d’ascension sociale pour les industriels. Probablement inspirée par le modèle français du Palais épiscopal de Namur (1728-1732), la famille de Tamison fait ériger plusieurs bâtiments afin de modifier la demeure.
Bâtie selon un plan en L (ou en U asymétrique), la nouvelle résidence comprend un hôtel de maître (1), entre cour (2) et jardin (3), auquel s’adossent l’ancien édicule (4) et une nouvelle aile de dépendances (5) pour les domestiques. À deux niveaux, l’immeuble principal est désormais séparé de la rue par l’ancienne demeure familiale (6), transformée en bâtiments de services.
1761
Agnès-Catherine de Damme de Nieuwenhoven († 1761), veuve de Charles-Eugène de Tamison, lègue l’hôtel à Pierre-Joseph Baudouin de Gaiffier († 1779), avocat et conseiller provincial, qui récupère ainsi la demeure vendue par son bisaïeul, Guillaume Gaiffier. En contrepartie, le Namurois accepte de prendre les armes et le nom de Tamison. La demeure est désormais connue sous l’appellation « hôtel de Gaiffier de Tamison ».
1762
Pierre-Joseph Baudouin de Gaiffier de Tamison agrandit l’hôtel en achetant la maison voisine, située dans le prolongement de l’aile de dépendances et appartenant au maréchal-ferrant Latinne.
1768
Au début de l’année 1768, l’hôtel arbore déjà une apparence différente de celle des années 1740, probablement due à des travaux réalisés entre 1750 et 1767. Parmi les modifications notables :
- La construction d’une chapelle privée latérale (aujourd’hui disparue) et d’un escalier monumental dans l’axe central du bâtiment.
- La transformation de l’ancienne demeure, située en bord de rue, en écuries, bûcher et remises.
- L’aménagement de l’ancien édicule en poulailler et lavoir de cuisine.
- Le réaménagement de la façade arrière avec l’ajout de quatre fenêtres supplémentaires.
- La réunion de l’aile de dépendances et de la maison du maréchal-ferrant, autrefois séparées par une petite cour.
La même année, entré à l’état noble du comté de Namur en 1755, Pierre-Joseph Baudouin de Gaiffier de Tamison fait appel à l’architecte-géomètre namurois François-Joseph Beaulieu pour transformer l’hôtel en demeure digne de son rang. Si la volonté initiale des deux hommes est de réaménager complètement la propriété, seule la cour intérieure sera, au final, modifiée.
Les travaux, réalisés sous la surveillance de l’entrepreneur Philippe Phazelle, commencent par l’agrandissement de la cour, obtenue par la destruction de ses structures : le poulailler, le lavoir de la cuisine, l’aile de dépendances, la maison du maréchal-ferrant et surtout, l’ancienne demeure en bord de rue. S’ensuit alors un réaménagement de la cour :
- La construction, en bord de rue, d’un avant-corps à deux niveaux pour y accueillir la chambre du portier, un bûcher (pour entreposer le bois), deux doubles remises avec un escalier, un fossé et une cour des fumiers ainsi qu’une écurie.
- Le percement d’un nouvel accès aux caves de l’hôtel, à droite du perron d’entrée.
- L’abaissement et le pavage du sol de la cour (le projet en demi-lune n’a cependant pas été réalisé).
- Le remaniement de la façade avant de l’hôtel (avec le murage des anciennes portes d’accès aux dépendances et l’ajout de fenêtres supplémentaires).
De style Régence, l’avant-corps est décoré de stucs par Baptiste Jonquoy et Joseph Hustin, connus pour leur œuvre dans le vestibule et le dôme de l’ancien hôtel de Groesbeeck-de Croix et la chapelle privée de l’aile Dartevelle de l’abbaye de Floreffe. Il est également percé d’une large porte cochère moulurée et d’une grille en fer forgé (aujourd’hui disparue).
1779
À la mort de Pierre-Joseph Baudouin de Gaiffier de Tamison, son fils, qui porte le même nom, hérite de l’hôtel et le met en location au profit du comte de Hamal, baron de Vierves (1779-1782) et de Jean-Joseph Plomteux (1782-1789).
1811
Pierre-Joseph-Baudouin de Gaiffier († 1823) achète les dépendances et une partie de la cour arrière de la maison voisine. Celles-ci seront reliées à l’hôtel par la construction d’un nouveau bâtiment, quelques années plus tard.
1823
Après le décès de Pierre-Joseph-Baudouin de Gaiffier, l’hôtel passe aux mains de sa petite fille, Marie-Thérèse-Guillemine de Gaiffier († 1865) et de son époux, Anatole Lallemant de Lévignen († 1828). Désormais connue sous le nom d’hôtel de Gaiffier-de Lévignen, la demeure sera ensuite léguée à Jules-Félix Lallemant de Lévignen († 1892) dans la seconde moitié du 19e siècle.
1830-1841
La famille de Lévignen fait appel à l’architecte bruxellois François Blanpain (constructeur de l’ancien hôtel de ville de Namur, détruit en 1914) pour remanier les façades de l’hôtel, entre autres. Celles-ci sont dotées :
- De grandes fenêtres à linteau droit (avant et arrière).
- De demi-fenêtres sous la corniche (avant et arrière).
- D’un avant-corps médian en légère avancée (arrière), percé d’un large portail de François Dufer, en lieu et place de deux anciennes travées de fenêtres.
Plusieurs cheminées ainsi que les colonnes ioniques du hall sont également installées à l’intérieur de l’hôtel à la même époque. En 1836, un nouvel escalier d’honneur à deux volées – seul exemple de ce type en Namurois – vient remplacer l’ancien. De style Empire, ses départs sont installés par L. Vandenbrande, serrurier mécanicien du roi Léopold Ier.
1906 (?)
Au décès de Caroline Sélys († 1906), veuve de Jules-Félix Lallemant de Lévignen, l’hôtel devient la résidence principale de sa fille Marie-Marguerite († 1939) et de son époux, Paul de Gaiffier d’Hestroy († 1940). Le portrait de ce dernier, gouverneur de la Province de Namur de 1919 à 1937, accueille aujourd’hui les visiteurs du musée.
1944
L’hôtel est classé comme monument, par l’arrêté royal du 24 avril 1944, en raison de sa valeur artistique, historique et archéologique.
1950
Ghislaine de Gaiffier d’Hestroy († 1950), épouse de Paul d’Haese et fille de Paul de Gaiffier d’Hestroy, lègue le bâtiment sous le nom d’hôtel de Gaiffier d’Hestroy et de Tamison à la Province de Namur « pour être un Monument public et devenir un Musée des Beaux-Arts ».
1964
Après avoir été réaménagé, l’hôtel accueille une partie des collections de la Société archéologique de Namur et devient le Musée provincial des Arts anciens du Namurois, le 11 avril 1964.
1965
Une nouvelle porte est percée à gauche de la façade avant de l’hôtel et est reliée à la cour par l’installation d’un escalier. L’escalier de la porte principale est, quant à lui, remplacé par un nouvel ouvrage avec emmarchement à trois pans. Le jardin est également redessiné à la même époque.
1999
La Province de Namur achète l’immeuble Dejardin voisin (au n° 26 de la rue de Fer) qui donne dans les jardins de l’hôtel et qui appartenait autrefois à la famille de Gaiffier. Cet espace supplémentaire agrandit la surface de l’hôtel de Gaiffier d’Hestroy et de Tamison et est transformé en aile administrative du musée.
2003
Les stucs de l’avant-corps sont classés comme patrimoine exceptionnel de Wallonie, par l’arrêté du Gouvernement wallon du 23 janvier 2003.
2009-2014
En piteux état, les décors en stuc de l’avant-corps sont reconstitués et/ou restaurés par l’Atelier d’architecture Thierry Lanotte et par une équipe multidisciplinaire de restaurateurs, dont l’entreprise Artplus composée de Pascal Mulpas, Elvira Iozzi et Mathieu Van der Hoeden.